6.12.05

Naissance

Un jour, en me recueillant, étendu sur mon lit, je me retrouva au milieu de la route de ma vie. Je m'efforçais de descendre dans le temps pour parcourir, événements après événements. Et je pouvais revenir le jour même de ma naissance.

Je créais dans ma tête la métropole de l'époque, la métropole enfoui sous la neige froide ; oui, Montréal sous les débris d'une avalanche imaginaire.

Le matin se levait paisiblement, couronné d'une petite chute de flocons miniatures dont je semblais encore voir ce jour là les reflets subtils qu'ils dégageaient. Presque rien ne bougeait sous ce masque blanchit par la glace ; les rues étaient désertes ; seuls quelques emballages de chocolats, débris de la St-Valentin, s'envolaient dans un tourbillon de vents frais.

Malgré tout, un homme, pas plus fou que les autres, se risquait pourtant à marcher contre la petite rafale de neige glacée ; cet homme, c'était lui, le médecin de famille de ma famille, lui, le simple et modeste docteur Adrien Robert.

Il se réchauffait à peine dans son vieux manteau d’hiver, l'ancien chapeau de son père lui camouflait la tête et ses grandes "claque" de caoutchouc recouvrait encore ses chaussures noires. Hélas, il avait oublié ses gants, et ses mains commençaient à se geler. Même si la poudrerie lui pinçait le visage et si le froid lui engourdissait chaques doigts, il se ruait vers l'avant en s'accrochant à sa petite trousse noire dont il se servait pour chaque patient chez qui il allait rendre des visites quotidiennes.

Il zigzaguait entre les buttes et les voitures enneigées, tout en évitant de très près les flaques de verglas. Il marchait rapidement, terriblement pressé. Il avait d’ailleurs une bonne raison ; il ne prenait même pas le temps d'admirer les gros bonshommes de neige, aux longs chapeaux bizarres, aux nez de carotte et aux yeux de billes cristalinnes, que les enfants avaient créé pour amuser les passants.

Il s'arrêta finalement devant une vieille maison ; une pauvre maison de piteuse allure, si on la comparait au grand bloc d'appartements érigé sur l'autre "rive" de la rue Chambor. La neige semblait tellement lourde sur ses petites épaules de bois et de briques, que le docteur lui-même pensait qu'elle s'écroulerait au moindre soupir du vent. Le docteur l'admira, sourit et ouvrit la porte, nouvellement installée, qui ne grinça même pas. Une fois à l'intérieur, il grimpa une trentaine de marches, longea un long couloir et frappa à trois reprises dans une porte soigneusement nettoyée. Puis un homme, d'à peine son âge lui ouvrit la porte. Après maintes salutations, il fit enfin quelques pas dans le lieu même de ma naissance.

Ce n'était qu'une petite chambre pauvrette constituée d'une jolie cloison vitrée, d'un plafond vétuste et de trois murs tapissés de papier peint déchiré à quelques endroits. De la porte, en regardant vers la droite, on admirait un merveilleux lit de bébé coloré d'un rose et d'un violet reluisant. Comme drôlerie : un petit meuble d'enfant qui semblait se reposer contre un oreiller de bois et de verre que formait la cloison qui, elle, servait par moment de muraille de Chine contre la fumée que dégageaient les bûches de papier dans le vieux poêle installé dans la cuisine commune.

Le lit où accoucha ma mère était au centre de la pièce, entouré de boîtes de carton vestiges d'un "entre deux déménagements".

Moi, j'étais dans l'obscurité complète, rien ne se présentait à ma pauvre vision. C'était noir, noir, noir, comme du charbon. J'étais prisonnier, mais un prisonnier heureux de son sort. Des machins plus ou moins doux se frottaient contre moi. J'étais coincé, je ne pouvais pas remuer comme bon me semblait.

Le "Bon Dieu" devait être près de moi et devait me parler. "Mon petit garçon, tes parents t'appellerons José. Je vais bientôt te lancer dans la vie où tu devras te défendre toi-même, où tu passeras de la joie à la tristesse, de l'amour à la rancune, de la paix à la guerre, de la facilité à la difficulté, de l'alliance à la séparation, puis enfin, de la vie à la mort. Tu feras face à tous ces problèmes, à toutes ses épreuves, mais si tu me fais confiance, ils se régleront tous aussi facilement qu'ils seront arrivés. Maintenant, va, mon fils..."

A ce moment là, instinctivement, je me mis à pousser de toutes mes forces pour pouvoir m'échapper de ce coin perdu. Mes orteils touchaient à une couche gluante, mais mon instinct me poussa à la frapper du bout des pieds. A un moment donné, je me suis senti tourner en rond puis deux parois se collèrent à mon crâne. Je sursautai, mais je ne pu m'écrier comme j'en sentais l'envie. Puis les deux parois de tissus visqueux se glissèrent jusqu'à mon coup. Immédiatement, sans que je les attende, deux autres parois, plutôt des leviers cette fois, me saisirent la tête. Ce fut suffisant pour me faire crier de terreur. Ma gorge envoyait des sons très aigus qui devait raisonner dans une grande pièce. Mes pieds traversèrent enfin la paroi élastique pour me laisser suspendue en l'air, entre les mains d'un étranger que je ne pouvais même pas voir. Je recommença à pleurnicher, j'avais peur de ces choses noires qui me touchaient. Soudain, mon derrière toucha à un liquide tiède apaisant. Mais on me glissa tranquillement au grand complet dans ce liquide inconnu. J’eus peur alors de me noyer et je me mis à crier de plus en plus fort.

J'avais assez hâte que ce cauchemar se termine enfin.

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Bonsoir

Nous sommes les filles du docteur Adrien Robert. Par un pur hasard, nous avons fait une recherche sur Google au sujet de notre pere et nous avons abouti sur votre blogue! Est-ce que vous avez un souvenir de nous?

Lise & Nicole Robert
robert.gravel@videotron.ca

José a dit...

Je dois vous avouer que je ne me souviens pas de vous en particulier mais que je garde un très bon souvenirs de la qualité des soins que je recevais de votre père et de votre mère (je crois qu’elle jouait le rôle d’infirmière si je ne me trompe pas).
Je me souviens entre autre chose d’un accident de vélo que j’ai eu quand j’avais une dizaine d’année il me semble, je venais de foncer dans un poteau sur le pont Jacques-Cartier et j’avais la main en sang quand je suis arrivé au bureau de votre père près du parc Lafontaine. Je me souviens que malgré une salle d’attente bondée, on m’avait fait voir le docteur tout de suite (on ne peut plus s’attendre à ça dans nos clinique moderne !). Et je me souviens de la délicatesse qu’il a eu en nettoyant la plaie et de la peur qu’il m’a fait vivre quand il s’est rendue compte que le morceau de sang séché qu’il essayait d’enlever avec sa pince était en fait un petit bout de chair à découvert. J’ai eu droit au plus gros bandage de doigt de ma vie. J’ai toujours été persuadé qu’un autre médecin m’aurait fait terriblement mal.
C’est ce dont je me souviens à propos de votre père. Je sais qu’il était là à mon accouchement (dont j’ai un peu romancé le récit) et à celui de mon frère et de ma sœur.
Par contre, vous connaissez peut-être un certain Christian Deslongchamps, qui a peut-être plus de souvenir de vous. C’est drôle parce que c’est un ami de ma femme qui, en jasant tout bonnement, m’a fait comprendre qu’un même homme nous avait touché les fesses; oui, lui aussi est né par les bons soins du docteur Robert. J’ai cru même comprendre que c’était un de ses oncles… donc vous seriez cousins. Comme le monde est petit !

Anonyme a dit...

Il met arrivé quelque chose d’étrange dernièrement je naviguais de blogue en blogue et j’ai lu votre texte,
c’était il y a deux jours.

Ce matin je rend une petite visite à ma mère elle habite dans un chsld c’est premier jours lui sont revenues en mémoire à l’occasion de son soixante-dix-neuvième anniversaire et c’est la qu’elle ma parlé du docteur Robert.

Elle s’appelle Louise Poltrini elle habitait sur la rue cartier.